Démarche

a

PRÉSENTATION  GÉNÉRIQUE

Marie Goussé, née dans l´Oise, à Senlis. Vit et travaille en Picardie et partout en France et ailleurs.

A son atelier à Compiègne, Oise, à 75km de Paris.

Sa démarche initiée en 1992 suite à une expérience de prise d´empreintes directement sur le sol de la forêt avec pour supports des voiles, explore différentes voies ouvertes dans les années soixante par des mouvements artistiques tels que l´Arte povera, le Land Art, l´art conceptuel, le surcyclage …

Depuis, répondant à des commandes, elle a réalisé une quarantaine d´expositions in situ en Rhône-Alpes, Provence, Bretagne, et aussi: en Inde 1999, en Arménie 2002, en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu 2004 ou encore au Québec 2005 …

A travers la diversité de ces expositions on retrouve une même cohérence de conception : Marie Goussé part de fragments ou de prélèvements pour les prolonger à sa manière et leur donner une nouvelle vie, participant ainsi à une économie circulaire.

Ses thèmes de prédilection sont les rapports paysages, humanité et identité et leurs liens de ré générescences réciproques. Elle porte un regard poétique sur -les capacités de l´humain à survivre à son histoire, à s´adapter, à guérir et à se transformer ; -comment la vie se relève de ses blessures, se débarrasse de ses croûtes et continue. Elle joue des qualités dites féminines douceur, souplesse, réparation et transformation. L´utilisation récurrente de textiles évoque les mues, les enveloppes, les pansements. Voiles, ailes, plumes et déambulatoires, cheminements, labyrinthes jalonnent son parcours artistique.

Sa recherche l’a poussée à entreprendre des séjours de travail en -Arménie, Inde, Népal, Ladakh, Nouvelle Calédonie, Iles Éole, Tibet, Vanuatu…

L´oeuvre de Marie Goussé apporte une réflexion sur la confrontation au temps, sur la transformation de l´individu et de l´espace. Elle invite à une déambulation, du regard, de la pensée et des pieds !


« Tisser le silence » Alexandre ESTAQUET-LEGRAND, Directeur du MUDO-Musée de l’Oise, pour accompagner les installations dans le jardin. Avril 2023.

Profitant du lancement des Rendez-vous aux jardins, événement national porté par le Ministère de la Culture, le MUDO-Musée de l’Oise a choisi -d’ouvrir les portes de ses jardins à la création contemporaine et -de laisser carte blanche à Marie Goussé, artiste plasticienne originaire de l’Oise. Son œuvre questionne notre mémoire du monde, la fuite du temps et ses métamorphoses perpétuelles, grandes ou ténues, résistantes ou fragiles.

Conçue en écho aux thèmes de l’exposition « De rêve et de lumière. L’Antiquité selon Émile-René Ménard », l’installation « Tisser le silence » de Marie Goussé est une invitation au rêve et à la méditation. À la manière d’un pêcheur qui remonterait dans ses filets quelques fragments du passé dissimulés sous l’onde, les voiles de l’artiste capturent dans leurs trames des traces et nous les offrent. Restes textiles, végétaux et minéraux viennent s’entremêler dans ses toiles tendues entre les arbres, comme autant de signes d’un passé disparu mais toujours présent ; poussières du temps que l’artiste ramène à notre esprit. S’agit-il de vestiges des grandes heures du palais de l’évêque balayés par le vent ? De débris issus de la cathédrale ? Ou pourquoi pas de quelques grains de sable ayant traversé les mers et les monts depuis l’antique Égine aimée d’Émile-René Ménard ? Comme les débris silencieux que l’archéologue met au jour, ces particules de rêve ont eu une vie et nous racontent une histoire. Elles évoquent les secrets des vestiges du passé capturés par la toile, tandis que le temps a emporté avec lui tous les autres.

Au travers de cette installation, Marie Goussé explore des thématiques qui lui sont chères et nourrissent son œuvre depuis sa première exposition à Beauvais en 1992. Fascinée par les signes du résiduel, désagrégation, transformation et renaissance, l’artiste explore la notion d’inachevé dans un dialogue où la légèreté de ses créations le dispute à la force évocatrice des matériaux qu’elle utilise.

Prodiguant des ateliers auprès des élèves de l’École d’art du Beauvaisis, Marie Goussé a laissé ses pas et voilages l’emmener au-delà des frontières de l’Oise, au travers de la région Hauts-de-France et par-delà les mers et les frontières : Ermenonville, Dinan, Arles, Grenoble ou encore Leh, Erevan, Nouméa sont autant d’étapes qui ont accueilli l’artiste, en quête d’un dialogue permanent entre le paysage sous toute ses formes, l’espace et le(s) temps.


Clémentine Feuillet pour Artension le magazine n° 153 de janv/fév 2019,
Marie Goussé : « Une déclinaison sensible de la perte et du manque »

Avec beaucoup d’élégance, et de subtilité, avec un style scénographique infiniment sobre, peu appuyé, l’artiste sait amener une part de dramatique ténue et pour autant très discrète, suspendue, flottante. Comme si de rien n’était. Comme si rien n’avait jamais existé.

Beaucoup de coton semble remplacer la glace qui recouvre la lave encore chaude.
Comme dans l’art de l’ellipse, on ne sait plus distinguer le manque du désir.
Le crime, la blessure, la disparition, l’invisibilité sont liés. [...]

Du bois à la plume, des objets solides aux voiles, du tissu immaculé au cheveu humain,
De la gaze au métal, de l’arbre soigné à la parure du mannequin, c’est toute une déclinaison sensible de la perte et du manque, de la possibilité de réparation dans la forme qui s’offre au spectateur, le faisant entrer de plain-pied dans un champ intense d’exploration et de fixation symbolique. [...]

Par marie Goussé pour son exposition :
L’enfant dans le ventre de la rivière »

Est le titre que j’ai imaginé en janvier 2019 pour cette exposition en solo à La Cité des Bateliers, ici dedans la Péniche Freycinet, et -dans le jardin du Musée.

Ma maison d’enfance devenue depuis mon lieu actuel de vie et de travail, se situe sur la rive droite de l’Oise, des petites iles et des écluses.

Le chemin rituel. -plusieurs fois par jour, la petite fille que j’étais, traversait le pont de Compiègne, flânant parfois sur les rives pour observer, s’interroger, sur le courant, l’eau, tous ces bateaux et leurs mystérieux habitants qui me saluaient de loin … Que de mystère et de rêveries alors ?

Mon regard se heurtait à la surface miroitante des ondes : on ne peut pas voir en dessous. Pourtant il doit y avoir un monde là-dessous ? Et profond ? Et noir ? Un autre univers ?

Je suis libre de tout imaginer sous le film lumineux de l’eau : d’autres mondes fluides et changeants, miroirs coloriés de nuages, courants pigmentés de terres, ondes semées de créatures fuyantes, profondeurs réceptacles de vestiges étrangers…

Les scaphandriers en apesanteur dansent-ils lentement au-dessus des gouffres ?
Quel infini voyage, tantôt souterrain, tantôt sous le ciel ?
Quelles choses jetées et oubliées au fond, que parfois remontent les bateaux-dragueurs ?
Y-a-t- il des embryons dont le long cordon fluvial rejoint la mer ?
-Les bateliers à distance, sont certainement les gardiens de ces secrets ?

Aujourd’hui, par la transformation de textiles, de papiers, de cheveux, de fil de fer, de papiers, de céramiques, de végétaux et d’objets du quotidien, je sculpte avec douceur des fragments de cet imaginaire riche et poétique.
Je vous les offre comme les rêves d’un enfant dans le ventre si fertile de la rivière.

Ici en utilisant le balancement de la péniche sur les flots, les rêves de la rivière tanguent et roulent.
Et vos pensées peuvent se laisser aller à ce bercement.

Grace à toutes ces dernières créations dont la plupart ont été créées pour La Cité des Bateliers, je vous fais, parallèlement, découvrir une série d’estampes réalisées il y a presque trente ans.
Ces empreintes de sols, de feuillages, d’herbes, dont on retrouve des résidus dans les encres grasses participent elles aussi d’un monde souterrain et aquatique.

Afin de poursuivre le rêve à terre le Bateau-rêve, à cale dans le jardin du musée vous accueille comme une grande tente de voiles transparents. « Mesdames et messieurs entrez, le spectacle va bientôt commencer … ».
Bienvenue à bord !

Clémentine Feuillet pour Artension Hors Série n° 25, sur l’usage du textile chez les artistes : COUSU D ART, novembre 2018.

Marie Goussé : un jeu candide et cruel, savant et souple…

Depuis presque trente ans, le travail de Marie Goussé explore la relation des figures magiques, éphémères, à l’espace et l’environnement, développant une sensibilité particulière pour l’évocation du corps et de sa féminité au travers de matériaux comme la voile, le linge, le tissu, la plume, la cire.

La nature, au sens large (végétale, animale, sauvage) est une composante de cette approche plastique qui mêle maîtrise et logique souterraine, et nous achemine à la façon des « contes » dans la prairie claire et obscure de
l’imaginaire.
Ses installations questionnent toujours de très près la frontière entre fiction et perception du réel, interrogeant la part de mystère, de séduction, d’audace des formes mises en scène selon les règles d’un rituel troublant et poétique, avec lesquelles s’instaure désormais un dialogue mutique, et pour autant brûlant.

La Robe de Pêcheuse avec sa cravate en chevelure féminine annonce d’emblée la nature du jeu : à la fois savant et souple, à la fois candide et cruel.
Si la chevelure faite de cheveux réels joue à la façon d’un appât pour attirer les « célibataires » (M. Duchamp), la gaze transparente qui recouvre le corps fantomatique de la « mariée » est là pour nous rappeler combien la féminité est tout à la fois du domaine du leurre, du visible, du piège, de l’attrait.


Cinq textes créés par ‘La Baigneuse du Petit Rhône’ spécialement pour les têtes de chapitre du deuxième catalogue des œuvres de Marie Goussé (parution janvier 2019 ; 100 pages).

1 Icare. 2018
Vas-y, ne prends pas de gants, assieds-toi sur mes plumes, entre dans mes
souliers
et dans ma danse confuse des anges ensorcelés.
Tu y verras mes ailes de géante et toute ma béance, ogresse au fond d’un
précipice remontant à la main les entrailles de la terre.
Un travail incessant.
Tu y verras la mer, lointaine, la mère ? Qui sait ? Celle qui se cache
derrière des tentures arachnéennes, et dont l’ombre est aussi lourde que
l’airain.
Tu y verras un palais labyrinthique et tout un attirail très alambiqué pour
le survoler afin de n’en jamais trouver la sortie.
Tu y trouveras l’attente, la gestation, la prison, la mort, que des
paraphrases de la vie.
Un enfant convoqué aussitôt congédié. Et ces grandes maisons et ces petits
immeubles, parodies d’une ville dans ma tête, sanctuaires habités par des
êtres invisibles que tu dois déchirer.
Oui tout se déchire, se multiplie, s’étend et se replie. Une danseuse je
suis dans les bras
de la vie, des morceaux de pantin dispersés. Je suis une attachée-détachée.

2 Dédale. 2018
Embarque-moi dans tes chemins, tes lignes de la main, prends-moi la manche
et promenons-nous dans les bois pendant que le loup y’est pas.
Attendons-le à la croisée de nos routes, au bord de ce fleuve dans ces
maisons hautes, ou dans le parc bichonné de la Comtesse de Mergran.
Tu te perdras dans mon labyrinthe et je me moquerai de toi car il n’y a pas
de quoi.
Le chemin est si facile. Tout tracé comme la vie.
Y’a qu’à se laisser guider par les nuages, la neige, les traces, les
empreintes, nos pas.
Ceux du loup y’est pas. Dans les allées par les arbres dessinées je
t’abîmerai dans
mes voiles tendues au vent venu. Loup y es-tu ?

3 Carrées. 2018
Les plis m’obsèdent comme ce parachute accroché à la dernière guerre et dans
lequel ma grand-mère confectionnait des soutiens-gorge, des culottes, des
jupons.
Comment détourner le laid, le moche, le violent, la mitraille, et en faire
du beau, du doux,
du soyeux, du sexy. Comment faire l’amour à la mort. L’amour, la mort.
Toujours redonner une vie, aux objets, aux lieux, aller narguer les morts.
Les faire remonter à la surface comme autant d’angoisses défenestrées qui
ressurgissent.
Oui je passe de la légèreté à l’inquiétant, frisant le sophisme, orchestrant
la folie. La distance est ainsi, elle s’étire à l’infini. Elle s’inscrit
dans le masque retourné, la baignoire un cercueil, l’enfant a la tête de
buis, et puis…
Je tisse, je serre, comme ma grand-mère je tissu-ISE. Je perpé- TUE.
Je suis fileuse.
Je compose avec le temps, je l’étrangle et le laisse bagoter, s’enfuir.
Puis je le reprends. Je suis possessive du temps.
Allez, viens voir sous mes jupes ce que j’y cache, mère infanticide,
sorcière,
brodeuse, poseuse d’aiguilles, bougresse maléfique. Trouve la clé et
montre-moi
ce que je sais.

4 Croyances. 2019
Comme une religieuse païenne je vénère les saintes et les enceintes, les
fées et leurs elfes et t’entraîne dans un monde de poupées impudiques qui
relèvent leurs jupes, te laissent voir leur intime. J’embobine, j’ensorcèle
je fragmente et morcelle. Je coupe, je rabote, j’additionne et retranche,
tranche encore, l’enfant, le squelette, la mère, une biche soumise et
ramifiée. L’enfant fagoté. Je suis l’indienne au masque d’escrime, je
bataille, je ferraille, je tenaille. Jusque dans les entrailles où s’usinent
les règles des bonnes femmes je fouraille. Les draps sortent blancs comme
neige. Le sang ne coule pas. La vierge n’enfante pas.

5 Enveloppes. 2019
Chrysalides aériennes d’où ne s’échappe aucune nymphe. Mues, émergences,
larves invisibles, je t’emmène là où le monde naît et s’avorte. Enceinte
corsetée des œuvres d’un phallus immense dans lequel je me drape diaphane,
j’accouche du vent qui soulève les voiles ou retombe, mou, dans les plis de
ma robe. Je t’invite à ma fête où l’homme devient femme pour mettre au monde
le cercueil d’un enfant de plumes. Ma folie t’accompagne, te répond et
s’exclame : « ciel mon prince je ne te croyais pas si impénétrable ».


Féminisme(s)

Texte de Clémentine Feuillet,
Responsable artistique et Commissaire d’ expositions, à l’occasion de:Féminisme(s)
mars et avril 2014

Depuis plus de vingt ans, le travail de Marie Goussé explore la relation des figures magiques, éphémères, à l’espace et l’environnement, développant une sensibilité particulière pour l’évocation du corps et de sa féminité au travers de matériaux comme la voile, le linge, le tissu, la plume, la cire. La nature, au sens large (végétale, animale, sauvage) est une composante de cette approche plastique qui mêle maîtrise et logique souterraine, et nous achemine à la façon des « contes » dans la prairie claire et obscure de l’imaginaire.

Ses installations questionnent toujours de très près la frontière entre fiction et perception du réel, interrogeant la part de mystère, de séduction, d’audace des formes mises en scène selon les règles d’un rituel troublant et poétique, avec lesquelles s’instaure désormais un dialogue mutique, et pour autant brûlant.

La Robe de Pêcheuse avec sa cravate en chevelure féminine annonce d’emblée la nature du jeu : à la fois savant et souple, à la fois candide et cruel. Si la chevelure faite de cheveux réels joue à la façon d’un appât pour attirer les célibataires (Duchamp), la gaze transparente qui recouvre le corps fantomatique de la mariée est là pour nous rappeler combien la féminité est tout à la fois du domaine du leurre, du visible, du piège, de l’attrait.

Jouant sur le magnétisme de l’apparition, l’œuvre mi- réelle, mi- évanescente, nous entraine dans un champ de spéculations sensibles et fortement tactiles, dans une partie de cache-cache où le désir est maître, où le manque serait roi… « Pécheuse » n’est pas loin de « pêcheresse », « appât » de « pas » et de « papa » : la douceur de l’œuvre renvoie au poison d’un sortilège, au poids d’un envoûtement (éducation, culture, machisme).

Le fétichisme dans l’œuvre de Marie Goussé et son pendant, l’exploration émotionnelle des sentiments, établissent un point de traverse entre répétition circulaire et transgression plus sauvage, entre processus de deuil, transfert et fixité des apparences dans le silence, libération salvatrice de l’inconscient par la parole ou le corps.

Clémentine Feuillet, Galerie Joseph Antonin, 13200 Arles, by french lizard attitude association
http://galeriejosephantoninarles.blogspot.com


La robe de Laërte

par Sylvie Albrespy 2013 :
Amateur d’art et essayiste, art thérapeute orthophoniste en pédopsychiatrie au Centre Hospitalier de Grenoble. Texte précédent sur la démarche de Marie Goussé De la terre au grenier 2002.

Elle est là, hiératique en pleine lumière solaire au-dessus d’un tombeau vide. Elle nous parle d’un féminin qui retient la vie à tout prix.

Pour garder la vie sauve, Schéhérazade tisse les mots sans jamais conclure son conte.

Pour garder son amour intacte auprès d’Ulysse Pénélope tisse le fil sans jamais vouloir conclure cette robe mortuaire destinée à son beau-père Laërte, celui-ci ne pourra mourir tant que ce tissage ne sera pas terminé c’est ainsi qu’elle éloigne les prétendants, sauve sa foi et refuse de se perdre.

Pénélope a le courage de la ruse. La nuit, elle défait son ouvrage diurne et recommence le jour suivant, ce subterfuge lui permet de retenir la vie et de protéger l’égarement de son mari, elle l’ancre au tombeau du père.

Marie Goussé vient mettre en tension la vie et la mort, la verticale et l’horizontale, la lumière et les ténèbres, la chaine et la trame…………elle nous parle de ce tissage, de ce fil qui devient surface, de ces mots qui deviennent histoires de vies qui elles-mêmes transcendent les générations.

Avec le fil du temps chacun tisse sa toile.


Introduction à l’exposition REFUGES de Marie Goussé par
Stéphane Valdenaire, responsable des expositions au Forum de Saint Louis, Haut Rhin, agglomération tri nationale baloise. Avril 2010

« Marie Goussé a le goût de la mémoire, qu’il s’agisse de celle des lieux ou de celle des matériaux.

Les installations qu’elle conçoit se pensent toujours en fonction de l’espace qui les accueille, non pas au seul sens physique, mais aussi dans sa charge historique et symbolique.

Après avoir travaillé dans de hauts lieux comme le Familistère de Guise, le site archéologique de St Romain en Gal-Vienne dans le Rhône et le parc Jean Jacques Rousseau d’Ermenonville, à l’été 2010, elle proposera pour le Forum de Saint-Louis une exposition où la notion de Refuges est centrale, ainsi qu’au musée dauphinois à Grenoble. (ethnographie de l’arc alpin)

L’un des plus fertiles paradoxes de l’art de Marie Goussé est sa faculté de transfiguration. Voulant faire sentir la durée, elle s’en remet à des choses fragiles ou modestes. S’attachant à des idées et des sentiments, elle les traduit en une langue d’objets où les traces du quotidien servent de point de départ, et où la symbolique enfouie revient à la surface. De ses thèmes favoris, comme celui de l’habitat, elle fait des motifs non d’enracinement mais de partance.

C’est dire qu’elle nous place souvent à la fois dans l’ici et l’ailleurs.

Car les refuges de Marie Goussé ne sont pas, selon ses propres dires, des lieux de retrait et d’isolement régressif mais des endroits où reprendre force, au contact d’un familier à jamais étrange. »

Stéphane Valdenaire Avril 2010


À la rencontre de l’autre.

par JC LE GOUIC 2004

Les œuvres de Marie Goussé vont à la rencontre de l’autre. Elles ont été conçues pour leur relation à ceux qui les regardent. Elles empruntent aux passants un peu de leur temps de regard. Les créations de cet artiste demandent qu’on arrête et son regard et même sa marche en avant pour prolonger ces œuvres. Souvent elle les incite les spectateurs à participer eux-mêmes, à prolonger à leurs manières ses propositions de départ. Je rappellerai deux situations anciennes de ce type avant de prendre deux exemples récents : au Salon de l’Ephémère en plein air à Fontenay sous Bois en 1997, elle avait mis à disposition des visiteurs des perches de noisetier, des bandes de papier, des ficelles et des marqueurs et les avait invités à écrire sur des papiers, à fixer ceux-ci en haut de la baguette et enfin à planter l’ensemble en terre pour former une œuvre collective. Un des participants a poussé l’acte d’appropriation de l’œuvre jusqu’à proposer un titre : Le buisson papyrus éloquantus.

La même année dans le parc du Foyer de Jeunes Travailleuses de Beauvais, pour la journée de l’environnement, elle invitait les spectateurs au cours d’une garden-party à écrire leurs pensées personnelles sur les grandes feuilles rondes du catalpa.

À Tournon (en novembre / décembre 2003), elle a récidivé cette adresse à l’autre lors d’une intervention auprès des élèves d’un collège avec ces trois mots. « Ta peau, ? », c’était aussi le titre de son œuvre. Elle avait installé un filet de 8m de large et de 4 m de haut sur un des murs de la cour de récréation, les élèves étaient invités à attacher leurs réactions écrites sur des bandes de papier. Cela leur a tellement convenu d’avoir ainsi à participer à la création que le mur a été vite recouvert d’une nouvelle « peau » de messages.

À Villeneuve de Berg (décembre 2003 / janvier 2004), l’œuvre « Jusqu’où ? » a été faite avec la collaboration des élèves : des baguettes de taille d’hiver des arbres de leur ville ainsi que des bas et des collants étaient à leur disposition. Après que l’artiste leur a montré la manière d’attacher ensemble ces baguettes avec les collants élastiques et de réaliser des croisillons tous azimuts pour occuper l’espace, les élèves ont, jusqu’à épuisement des matériaux, créé un environnement envahissant jusqu’à une hauteur de 3 mètres un couloir de 15 mètres de long et de 4 mètres de large ainsi qu’une grande salle (15 x 2 x 3 m) contiguë.

On remarquera combien Marie Goussé, par incitation à la réalisation de ce type d’œuvres, propose un mode de relation avec l’autre qui n’est plus hiérarchique et linéaire mais met en place une communication fondée sur la circularité et le réseau. Ces œuvres permettent la présence de chacun — chaque individu sait ce qu’il a fait— dans la dissolution d’un grand autre. Par-delà les individus, leurs oppositions et leurs contradictions, s’installe un univers complexe. Ce chaos artistique est infiniment différencié, mais pour l’approcher il faut penser plus à l’altérité qu’à l’identité. Pour le bien comprendre il faut tout aussi bien saisir les différences que les similitudes. Ces créations ne se contentent pas de chercher le contact avec les spectateurs, elles s’adressent au désir de participation de l’autre. Elles sont résolument optimistes dans la capacité des hommes à surmonter leurs oppositions et leurs contradictions quand ils travaillent sur leurs différences à la mise en place de productions ni totalitaires ni autistiques. L’art de Marie Goussé est aussi celui de créer les liens entre ceux qui se pensent d’abord comme des identités différentes. « L’altérité différentielle de l’art », comme l’appelle Jacques Cohen [1], permet de faire comprendre que l’autre n’est pas toujours un enfer et que l’on ne perd pas son identité lors d’une collaboration à une œuvre communautaire. Le mérite de Marie Goussé est de permettre aux uns, les participants, et aux autres, les spectateurs, de saisir cette étonnante capacité de la pratique artistique de cultiver le meilleur de l’homme.

Jean-Claude Le Gouic, avril 2004

Jean-Claude Le Gouic est peintre et Professeur des Universités au département des Arts Plastiques et Sciences de l’art de l’Université de Provence (Aix). Il a vécu trois ans en Nouvelle Calédonie. Il a publié divers articles ou préfaces notamment dans ART PRESENCE et dans AREA revue ( 2004) Il a écrit, entre autre, Voyage au pays du Tapa et retour, in Actes du Colloque Le voyage créateur, expériences artistiques et itinérance, l’Harmattan 2010, Raoul Dufy, la modernité en mouvement, Matières d’images, La Différence, 2008, La réussite en peinture (2001) et l’Art du semis et Le dessin dans la peinture, la griffe de Georges Noël, Publications de l’Université de Provence, 2010

[1] Jacques Cohen « Création, recherches, enseignements en arts plastiques : questions d’altérités » dans Les arts Plastiques à l’Université, Aix-en-Provence, PUP, 1993, p. 29.


Présentation de la démarche de marie goussé

par Jean Claude Le Gouic. 2003

Histoires d’air

Marie Goussé est ce qu’on pourrait appeler une artiste de la géoplasticité [1]. Elle intervient dans la nature, en utilisant des matériaux naturels et en respectant l’environnement. Le concept de nature doit être entendu ici au sens large, il s’agit moins de choisir comme lieu d’intervention un paysage plus ou moins préservé des actions de l’homme que de faire intervenir dans les œuvres les phénomènes naturels comme l’air, l’eau, le vent, le soleil, etc.

Je prendrai comme exemple cette Carrée installée durant l’été 2003 dans les bois entourant le château de Lauris dans le Vaucluse : cette œuvre reprenait d’autres créations de ce type installées ailleurs; il s’agissait d’une « figure », rappelant la forme des maisons dessinées par les enfants, une structure faite en rondins sur lesquels étaient accrochés des tissus blancs qui s’agitaient dès que le mistral se renforçait. Dans d’autres cas Marie Goussé adapte ses créations au milieu construit par l’homme. Durant l’été 2002, elle faisait pendre des greniers du village de Mens-en-Trièves (Isère) de grands pans de tissu de chanvre [2] qui rythmaient le parcours des passants qui faisaient le chemin de la bibliothèque au musée, ou l’inverse. Dans la plaquette publiée à cette occasion, Sylvie Albrespy soulignait, à juste titre, l’importance de l’idée du passage : « De la graine au chanvre, du chanvre au fil, du fil au linge, du linge au corps… du lange au linceul, le tissu se charge d’intimité humaine et quand il claque au vent, comme un drap-peau, l’air le transperce et récupère nos humeurs. » Les visiteurs prennent vite conscience que les interrogations de cette artiste sur la nature la poussent aussi vers un questionnement et une découverte d’elle-même, de sa propre nature. Cette recherche qui nécessite la création de formes ne se fait pas dans un esprit formaliste. Ces créations nous touchent parce qu’elles sont incarnées. Elles ne se contentent pas de révéler l’esprit des lieux de leur intervention, elles permettent à l’artiste, puis au visiteur, de se saisir, à son tour, comme lieu. L’intervention permet que le soit vivant de l’homme s’accorde avec la vie des lieux, avec leur esprit propre.

Affirmation de l’espace.

Marie Goussé pose des signes iconiques personnels (maisons, aile, cercle, œil) dans l’espace d’une nature déjà humanisée. Le volume spatial du paysage est l’écran mobile sur lequel l’artiste intervient par adjonction et juxtaposition de marques qui indiquent une présence supplémentaire susceptible de re-dynamiser une nature. L’artiste joue avec la lumière, le vent, l’attraction terrestre, l’action des hommes et celle du hasard, pour recréer, par son intervention, la réalité signifiante d’un monde que notre perception seule ne parvient pas toujours à saisir comme intelligible. On pourrait sans doute dire que Marie Goussé est une artiste du corps accord avec la nature.

Les yeux (los ojos) qu’elle avait installés dans les anfractuosités de la pierre des grottes naturelles du château de Lauris [3] disent bien la nature de l’intervention du créateur. Le lieu est déjà là comme un espace sculpté par le temps. Les marques ajoutées ne sont là que pour activer celui-ci, pour le faire se réaliser. Les dispositifs — et c’est en cela qu’ils sont artistiques — révèlent les ressources topographiques des lieux. Ils donnent à voir l’air et la lumière, ces éléments que Bernard Noël appelle « les oubliés du regard » [4].

L’une des caractéristiques des travaux de Marie Goussé est leur légèreté. Elle rejoint là-dessus le travail d’un autre artiste intervenant à l’aide du vent dans la nature : Curt Asker. Les matériaux travaillés pèsent peu. Ils inscrivent la légèreté dans des espaces denses, lourds et stables : les bois, les prairies, le bâti humain. À la légèreté s’ajoute l’éphémère. Ces œuvres ne sont pas faites pour durer. La plupart de ses installations marquent un équilibre passager dans un déséquilibre certain, un déséquilibre qui, à terme, provoquera la disparition de cet état d’art. Elles résistent pourtant plus qu’il n’y paraît. Je m’inquiétais de l’effet d’un mistral violent sur les voiles légers accrochés aux bâtis de la Carrée ou entre les arbres le long de l’allée montant vers le château à Lauris mais, comme le roseau plie et ne se rompt pas, les voiles volent sans se décrocher. Ils continuent donc, par leur répétition, à affirmer la mesure de l’espace du lieu où ils sont accrochés.

Oppositions fécondes.

Les créations de Marie Goussé échappent aux nominations. Leurs formes parlent d’autre chose que de ce qu’elles sont en réalité. Ici, un creux d’arbre évoque une grande aile d’ange. Certes les Carrées ont la forme de maisons, mais si ces maisons d’eau, d’air, de feu, sont « habitées », l’homme n’y habite point. Ces œuvres sont plus à vivre qu’à voir. L’opposition entre le fixe et le mouvement s’inscrit dans les structures des œuvres accrochées aux sols (ou aux éléments qui en sont issus tels les arbres, les poteaux, etc.) et les éléments souples que viennent agiter de légers battements d’air. En parallèle à cette dualité existe le double temps du regard qui associe l’arrêt pour des points de vue fixe et l’expérience du parcours. La prise de regard s’accompagne de l’emprise des corps. L’œil fixe est celui du photographe, celui du créateur, comme celui du visiteur, se doit d’être mobile. Les formes élaborées par l’artiste demandent à être expérimentées, à être réellement partagées dans la réalité et non pas à partir de photographies qui n’en sont qu’une trace mémorielle [5] . La spécificité de Marie Goussé ne serait-elle pas de faire parler la nature ? Faire parler en nous et pour nous « l’inconscient de notre civilisation ». La nature serait le refoulé qui continue à parler en nous. Le choix de certains artistes, comme Marie Goussé, est de servir d’intermédiaires pour nous faire voir et entendre combien le souffle de cette nature parle aussi de nous et des autres.

[1] Le terme de géoplasticité a été élaboré, à partir de celui de géopoétique (Kenneth White)  par Franck Doriac : « La géoplasticité traite du rapport qui peut être établi entre l’artiste et la nature : les éléments constituant les œuvres sont en général tirés de la nature, même si l’artiste y associe des moyens artificiels » Polymorphisme de la géoplasticité ; Thèse d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art, Université de Provence, 2003, non publiée, résumé, p. 2.

[2] Les tissus de chanvre s’adaptaient à la hauteur des façades, leur hauteur variait entre 3 et 10 m.

[3]  Dans d’autre cas, elle associe ces yeux immobiles aux nœuds des branches de bouleaux qui jalonnent un parcours

[4] « L’air, la lumière ce sont les oubliés du regard. Nous voyons les choses, les visages, le monde, nous ne voyons pas ce qui les rend visibles »

[5] Ces interventions ne sont pas prévues pour leurs effets photographiques, c’est ce qui fait la différence entre ces créations et celles de François Méchain, un artiste également présent dans l’exposition de Lauris.


de la terre au grenier

Dans le cadre de son projet ARTEFACT 2002 concernant le paysage et l’art contemporain, l’association SOUS LES TILLEULS a invité en résidence à MENS en TRIEVES*, Marie Goussé.

Une installation in situ a pris place dans le village. : de la terre au grenier

Marie Goussé a analysé l’architecture que des dizaines d’années de travail du chanvre ont modelé. Les petites toitures des portes des greniers débordant au dessus des ruelles, – nommées engrangeous, les grandes ouvertures au rez de chaussée faisant office d’échoppes et les caves enfermant des métiers à tisser, disent ce commerce journalier avec la plante cultivée dans tous les champs autour de Mens. L’artiste a imaginé éclairer ces circulations du chanvre, -de la fibre encore fraîche à la toile finale vendue à l’étalage et qui partait pour Marseille pour devenir voile de bateaux et bientôt appareillait vers de mystérieux voyages.

Cette œuvre accrochée d’engrangeou en engrangeou sur le trajet qui relie la bibliothèque au musée, est devenue le temps d ‘un été un élément vivant et actif du paysage, s’y confond par sa respiration, s’en distingue par son caractère éphémère.

Quoi qu’il arrive, deux passages sont incontournables, la naissance et la mort.

Entre les deux, l’homme construit son rapport au monde à l’aide de représentations. Il fabrique son langage, trace des empreintes qui deviennent palimpseste de signes.

La mémoire humaine est toujours en devenir.

Pour ce faire l’homme s’arrête, il a besoin d’un espace clos, d’un espace intime pour enraciner son errance .

Marie Goussé nous parle de la carrée, le lit, la chambre, la cabane,
là où l’homme essaie de prendre racine comme la graine dans la terre.

De la graine au chanvre, du chanvre au fil, du fil au linge, du linge au corps,
du souffle premier au souffle dernier; l’homme travaille,
respire et transpire protégé de linges comme une double peau.
Cette enveloppe de tissu tissée de deux fils vient piéger dans sa trame ce que le corps exsude.
Plaisirs et déplaisirs mouillent nos draps !
Du lange au linceul le tissu se charge d’intimités humaines
et quand il claque aux vents comme un drap-peau,
l’air le transperce et y récupère nos humeurs.

L’air nous enveloppe, nous le respirons alors qu’il est chargé de nous même.

L ‘homme se dresse, se déplace et s’élève en prenant appui au sol, il y trouve sa verticalité.

L ‘horizontale et la verticale, la chaÎne et la trame, le fini et l’infini nous ordonnent.

L ‘homme habillé prend habitations et habitudes.
De représentation en représentation, il apprivoise le pays qui devient paysages.
Riche et plein de paysages en mémoire l’homme peut quitter sa carrée sans se perdre, il part en errance et se souvient.

Quand la terre devient mémoire, le pays devient paysage.

En mettant la toile aux vents,
Marie Goussé nous parle de notre mémoire.
Là où le passé, le présent et le futur cohabitent,
d’un quelque chose d’insaisissable que nous respirons tous les jours.

Marie nous invite à la déambulation, à la marche, sans oublier de regarder en l’air pour s’arrêter un instant…

Sylvie Albrespy 2002
Présidente de l’association Sous les Tilleuls. 2002, art – thérapeute Hôpital de Jour Grenoble.

* sud Isère


Appel d’air.

Par Foxie de Marguerye. 2000.

Marie Goussé a beaucoup voyagé, du Tibet, à la Picardie,, ailleurs et ici, très loin et tout près. Mais l’artiste n’est pas touriste. Elle se déplace comme le pèlerin poursuit son rêve…Non, sa quête plutôt. Pieds, tête, fine pointe, de l’âme s’unissent dans cette déambulation à laquelle le visiteur est invité à prendre part : non pas pour prendre l’air, comment se laisserait–il prendre ? Mais pour répondre à l’appel de l’air et à l’esprit du lieu.

Au fil des jours, les moines d’ici ont canalisé les eaux, et façonné leur terre. La nature, ainsi mise culture, garde trace et souvenir de cet obscur et humble travail quotidien, qu’un œil attentif peut, encore aujourd’hui, déceler dans les accidents du terrain. De cette vie aujourd’hui disparue, Marie Goussé a cherché, saison après saison, à percevoir le souffle, dans son désir d’allier nature et culture, en un écho mutuel.

Pendant deux ans, elle a parcouru le domaine à pas de fourmi et en bottes de sept lieux, pour entendre cette respiration légère et obstinée de la nature humanisée depuis si longtemps, et déceler, comme elle le suggère, « l’invisible, l’imperceptible, d’un monde qui ne se livre qu’à une attention patiente ».

Le visiteur est donc convié, pour bien voir, à l’attention et à la patience, qui « n’est pas science » comme le rappelle avec humour un proverbe.

Comprenne qui pourra : peut être ne comprendra pas qui voudra. L’esprit du lieu, et celui de l’œuvre artistique s’accordent à demander l’attention plus que le raisonnement, dans une ouverture de tous les sens.

Peut être alors, dans cette surprise d’une sorte de dévoilement –les voiles de Marie Goussé, tout comme les brumes qui s’étendent sur le domaine de Chaâlis à l’automne, restent légers, transparents, pénétrables, et désignent le déjà là, plus qu’ils ne le masquent –ou encore dans la, patience d’un apprivoisement, comprendrons nous d’où provient cette unité profonde entre les œuvres installées ici, celles de la collection de Madame Jacquemart –André, et le lieu marqué tout à la fois par la présence et l’absence des moines disparus : c’est de l’ordre d’une correspondance, d’une paix intérieure, d’une sagesse. Cette sagesse qui donne selon André – Marie moine d’aujourd’hui en Picardie, « de connaître et reconnaître quelque chose de rare qui , cependant respire en nous au quotidien » .

Texte de Foxie de Marguerye. 2000, au sujet de l’exposition promenade au parc de L’Abbaye de Chaâlis, Ermenonville, Oise, en 2000


marie goussé, de chemins vagabonds en terres nomades

par Foxie de Marguerye. 1999

« On ne peut parler de l’essentiel, mais seulement autour », dit le poète. Tourner autour pour mieux s’approcher du centre. Déambuler, dans une multiplicité de parcours.

C’est à cette déambulation de la pensée, du regard, et des pieds, que nous invite le travail de Marie Goussé. Pour parcourir les lieux qu’elle a investis de ses installations – forêt de Compiègne, parcours sportif à Beauvais, rués du Mans, parcs, jardins – il est nécessaire de marcher – « Marcher pour retrouver sa respiration »; écrit-elle; « étape par étape, la marche opère une transformation… » elle nous rend sensibles au temps qui passe, à celui qui est passé, à ce qui va advenir. Comme si l’œuvre avait besoin du spectateur pour s’accomplir, et inversement. Parfois aussi, les pas s’arrêtent. L’on se repose sur les mots que Marie a accrochés sur ses portiques… Accrochés ? Non, plutôt arborés, comme elle le dit si joliment; c’est à dire, rendus arbres.

Dresser, comme l’arbre, des tiges, des perches, des portiques de bois; d’autant plus solidement debout qu’ils s’implantent fermement dans la terre. L’artiste y arrime des pièces de tissu ou de papier de riz, des voiles légers, qui offrent leur blancheur, leurs inscriptions, leurs estampages, à la circulation de l’air et à l’attraction de la terre, dans un courant incessant d’énergies. « L’arbre est le lieu d’activités intenses », note Marie Goussé. Comme l’arbre, les installations de l’artiste (citons à ce propos les  » Aléas-toiles » et la « Carrée du sourcier » prennent la terre par un point fixe, et se donnent à l’air dans une modification incessantes des formes et de l’équilibre.

« La fixité est toujours momentanée », rappelle Octavio Paz.

La terre, accrochée aux semelles de Marie Goussé est assurément, celle de son « pays », la Picardie. Elle y est née, elle y vit, elle y travaille. Mais elle va parfois planter sa tente bien loin, jusqu’au Tibet, et ses souliers ont beaucoup voyagé. Les terres contenues dans les caissettes et les valises (prêtes à repartir ?) proviennent d’ici et de partout ailleurs. L’on y regarde pousser tranquillement des jardins miniatures (ô les rêves d’enfance accrochés aux jardins japonais) et de frêles sculptures éphémères, portiques de bambou ou d’osier auxquels s’accrochent des sortes de « Lungta », ces « chevaux de vent » tibétains, ayant pour fonction de disséminer des forces vitales dans l’espace…

Foxie de MARGUERYE. 1999


L’ OEIL expo

Autour de Calder, Marie Goussé par Marielle Ernould-Gandouet 1996

Elle est à l’écoute de la nature, sensible à ces débris qui semblent morts, mais qui vont connaître une nouvelle vie. L’action de Marie Goussé consiste à visualiser cet état de passage invisible, à dévoiler cette vie de l’au-delà. Dans les bois, elle travaille en solitaire, collecte ces matériaux végétaux éphémères, qui semblent retourner vers la poussière, et en fait des empreintes sur un voile de gaze imprégné d’encres fraîches d’imprimerie. Récolte éphémère d’un enchevêtrement de débris qui va se muer en message écrit et lancé dans le ciel sur cette gaze qui parfois se déroule sur une longueur immense, s’envole avec le vent, s’accroche aux branches. Fragiles et vivantes, les poussières végétales redressées par le vent suivent la parole : « Lève-toi vers la lumière » et dans un nouveau cycle viennent modifier l’espace. Tous les aspects de l’œuvre disent à la fois cette fragilité cette force de vie prodigieuse flottant comme une apparition. Une façon de clamer la permanence de ces forces de vie, en dépit de tout ce que l’homme stérilise. La vie est merveilleuse et l’homme détenteur de trésors dont il ne prend pas soin : faut-il le rappeler ? Nous sommes tous des arbres.

Rare beauté du message de ces œuvres d’espoir et d’énergie.

Celui-ci a séduit Me Briest, commissaire priseur passionné, qui organise chaque année dans son Donjon de Vez, non loin de Pierrefonds, une exposition autour d’un artiste célèbre : cette année Calder, et pour accompagner les élans de celui-ci dans le ciel, il a choisi ceux lancés par une inconnue, Marie Goussé.

Marielle Ernould-Gandouet in
L’œil magazine international d’art n° 481 Juillet Août 1996 Page 11


Gérard Fournaison 1995

Encres

Pour Marie Goussé

roseaux tissés
treillés
toiles d’insectes
restes

étal blanc serré blanc des étoiles aux saisons

jeu de l’aube et des lacs
ce que meut le vent
son éclat de rameau quand la lumière dévoile son
destin
instant abandonné au monde abandonné
présent qui s’évanouit parmi les ombres

arrêt sur trame-élan vers l’intérieur
ce que le jour meurtrit en mouvement
se répète -s’attarde
se dissipe dans la transparence
comme un écho portant étreinte du silence

Gérard Fournaison. Ecrivain poète et compositeur.
Berthecourt/Oise Ecrivains de Picardie